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Tunisie post 25 juillet 2021: Le rejet du chacun pour soi et la réindustrialisation du pays sont-ils les les deux défi clés de l’étape actuelle?Par Mohamed Ben Hamed.

Sidérés depuis une décennie entière par les islamistes, leur népotisme, leur lobbying, l’hydre de leur corruption et par leur mépris de la loi et de la justice, frustrés par la dilapidation des biens publics, par l’augmentation de l’injustice, des inégalités sociales, des disparités régionales, du chômage et de la précarité, accablés par le sentiment de ne pas peser grand-chose face à un système politique qui pille la nation et démobilisés par la lenteur de l’administration publique, par la dégradation des valeurs et par le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire, les Tunisiens sont sortis de leur léthargie depuis le soir du 25 juillet 2021 pour soutenir les décisions prises par le Président de la République et pour exprimer d’une seule voix le vœux de voir naître une nouvelle Tunisie. Une Tunisie de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme, de justice et d’état de droit, ouverte sur le monde extérieur, fondée sur la solidarité, l’inclusion, l’égalité des chances et offrant aux citoyens un meilleur cadre de vie, de bien-être et de prospérité.

Bien que parfaitement légitime, ce vœux met néanmoins les Tunisiens toutes catégories sociales et origines régionales confondues face à plusieurs défis majeurs,dont le rejet de l’état d’esprit du chacun pour soi et de la réindustrialisation du pays. Pourquoi ces deux défis-là en particulier et comment les Tunisiens peuvent-ils les relever ?

  1. Rejet du chacun pour soi :

Le repli sur soi et le chacun pour soi des Tunisiens durant une décennie entière n’ont fait que nourrir la corruption, accroître une compétition stérile entre les citoyens, entraver toute action collective, encourager l’individualisme entre les régions et désunir l’ensemble des citoyens, avec pour résultat la méfiance, la suspicion, l’absence d’avenir, de valeurs et d’ambitions communes. Avec le coup d’éclat du 25 juillet 2021, c’est une nouvelle page qui s’ouvre dont les premières lignes doivent être le rejet de l’état d’esprit du chacun pour soi, la confiance et le changement de comportement mutuels. Ce qui implique que les Tunisiens, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, riches et pauvres, aient une vision commune, cessent de privélègier l’intérêt personnel au détriment de l’intérêt général, bannissent l’individualisme et le régionalisme et respectent de façon scrupuleuse la loi et les règles établies. C’est seulement à ces conditions que  les Tunisiens pourront éradiquer la corruption, progresser et rebâtir une Tunisie de tolérance, de solidarité, d’égalité des chances et de qualité de vie commune.

  1. Réindustrialisation du pays :

L’ex-président de Aérospatiale, SNCF et PSA en France, et actuel coprésident club de réflexion « La Fabrique de l’industrie », Louis Gallois, a récemment déclaré : «Industrie, est l’un des plus beaux mots qui soit, synonyme de technologie, savoirs, balance commerciale, emplois et aménagement du territoire.» Nous sommes hélas très loin en Tunisie de cette manière de voir les choses car l’industrie tunisienne a été affaiblie et déclassée avec méthode pendant des années, par dix gouvernements successifs, de telle sorte qu’elle n’est plus synonyme de modernisme, d’innovation, d’emploi, d’échange avec l’extérieur et de développement régional, déclassement auquel se sont ajoutées la crise du Covid-19 et la crise économique.

Cela signifie-t-il pour autant que le déclin de l’industrie en Tunisie soit irrémédiable ? La réindustrialisation du pays relève-t-elle de l’utopie ? En économie, un champ de possibles existe dans la mesure où de nouvelles opportunités peuvent naître des difficultés. Trois raisons nous poussent à croire que cela soit faisable en Tunisie et que la réindustrialisation soit possible :

  1. Les Tunisiens, individus et entreprises, ont rompu depuis le 25 juillet 2021 avec le catastrophisme qui était devenu le leur ces dernières. On perçoit effectivement chez beaucoup une attitude positive envers l’avenir et une aspiration à un développement économique inclusif et durable, permettant à chacun d’avoir un emploi permanent, un revenu régulier et une meilleure qualité de vie.

  2. L’opportunité existe actuellement pour le secteur industriel tunisien de se défaire de l’image écornée qui lui colle à la peau, d’utilisateur passif de process et de moyens techniques de fabrication obsolètes, d’employeur de ressources humaines non qualifiées, de management vertical et de production de basse et moyenne qualités. En examinant la demande actuelle de changement, il semble possible d’anticiper les évolutions technologiques, de s’adapter aux nouvelles valeurs mondiales en termes de santé, d’écologie, d’environnement, de ressources humaines, de production, de management, de solidarité et de modèles d’affaires (business models), et de se démarquer des anciennes pratiques.

  3. Enfin, la Tunisie dispose de ressources humaines précieuses, économistes, experts, universitaires, ingénieurs industriels, think tanks et chefs d’entreprises dont les connaissances, les compétences et l’expertise sont reconnues internationalement et qui sont à même de contribuer efficacement à la réindustrialisation du pays et à la relance de l’économie en faisant prévaloir l’impact et les avantages des enjeux industriels mondiaux actuels et des nouvelles filières industrielles. De plus ils sont à même d’apporter à l’État un éclairage précis, des conseils pertinents et des recommandations pratiques dans leurs domaines et de lui préconiser un ensemble de mesures et de leviers permettant d’accomplir une réindustrialisation du pays.

Il serait bon de inspirer de l’adage «Il n’y a pas de développement économique sans une industrie forte» sur le chemin menant à réduire le déficit de la balance commerciale, à attirer les investissements locaux et extérieurs dans le secteur industriel, stimuler le développement économique dans les régions de l’intérieur et créer des emplois et de la croissance. Afin de maximiser les chances de succès d’un processus de réindustrialisation, certaines conditions préalables doivent être remplies, dont notamment selon nous, les trois suivantes :

  1. Avoir une vision stratégique globale : La réindustrialisation de la Tunisie dépend avant tout de la volonté politique des pouvoirs publics, car aucun processus de réindustrialisation ne peut émerger sans un engagement total de l’État. Auquel cas, l’État devra alors avoir une vision stratégique globale de réindustrialisation à moyen et long termes, qui définira un cap précis et une direction commune pour les années à venir à tous les opérateurs économiques concernés, tels que les ministères, les administrations, les entreprises, les investisseurs et les institutions financières. En outre, cette vision devra se baser sur des axes stratégiques et des objectifs structurés, cohérents et clairement définis vers lesquels convergent toutes les actions. Elle devra être à la fois suffisamment ambitieuse pour permettre de progresser et de se projeter tout en étant réalisable pour ne décourager ni les intervenants ni les bénéficiaires. Elle devra également mettre l’industrie au cœur de la politique économique de la Tunisie et la considérer comme étant un outil pour faire face à la crise économique, au chômage, au déficit de la balance commerciale et à la décroissance et se verra donc allouer les moyens financiers et les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.

  2. Bien choisir les filières industrielles : Le monde est aujourd’hui en perpétuelle mouvance dans des domaines liés au savoir, que ce soit l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies, l’innovation, le digital et le numérique, ou liés à aux impacts de l’activité humaine, écologie, crises sanitaires, réchauffement climatique notamment. C’est pourquoi, les valeurs du passé comme le low-cost, la sous-traitance et les industries polluantes (fabrication de matériaux de construction), ainsi que les secteurs industriels très concurrentiels comme le textile, le cuir et la chaussure, la chimie et la pétrochimie ne suffisent plus et il faut aussi tenir compte de l’émergence de nouveaux enjeux industriels, sanitaires et écologiques qui génèrent de nouvelles filières à fort potentiel de développement, de valeur ajoutée et de croissance telles par exemple les filières de l’industrie 4,0 et 5,0, la robotique, les industries « vertes » (traitement et valorisation des déchets industriels et ménagers, lutte contre la pollution et protection de l’environnement), les énergies renouvelables (panneaux solaires, matériaux isolants, plastiques biodégradables, etc.),la santé (masques,respirateurs, réactifs pour tests virologiques, produits anesthésiques, médicaments, équipements et appareillages hospitaliers) etla microélectronique pour les secteurs automobile, aéronautique et industrie spatiale.

  3. Adopter des facteurs et des leviers d’accompagnement: La réussite d’une politique, quelle soit économique, sanitaire, sociale ou bien industrielle se joue dans la réalité et se gagne dans le présent. De même, le succès d’une stratégie, aussi pertinente soit-elle, ne dépend pas seulement des objectifs fixés mais aussi et surtout des moyens financiers mis en place, des facteurs et leviers d’appui, et de l’accompagnement adoptés. Parmi les facteurs et leviers d’accompagnement susceptibles de contribuer de façon déterminante à la réussite de la politique de réindustrialisation en Tunisie, six facteurs et leviers seraient souhaitables :

  • Savoir communiquer, avec les citoyens, les représentants de l’État, le secteur bancaire, et motiver, en soulignant que la réindustrialisation du pays viendra en grande partie de leurs actions ;

  • Réinventer l’aménagement des zones industrielles dans les régions afin de créer un écosystème favorable à l’implantation de nouvelles industries ;

  • Simplifier les procédures pour l’implantation de nouveaux sites industriels ;

  • Développer et déployer les infrastructures routières et numériques dans les régions de l’intérieur

  • Intensifier la réduction de fiscalité et d’imposition sur la production industrielle en la liant à la compétitivité industrielle ;

  • Réhabiliter la formation professionnelle au sein du système éducatif tunisien pour remédier au manque de main-d’oeuvre spécialisée dans le pays.

Conclusion :

Depuis le 25 juillet 2021, un changement de cap et une nouvelle synergie ont fait leur apparition en Tunisie. Il y a également une volonté manifeste des Tunisiens de reprendre leur avenir en main, de surmonter les crises et d’aller de l’avant. Toutefois, dans l’étape actuelle deux défis clés et inédits se présentent, d’abord rejeter l’état d’esprit du chacun pour soi, afin d’éradiquer la corruption et d’œuvrer ensemble pour un avenir commun, ensuite réindustrialiser le pays afin de bâtir une économie forte, d’équilibrer la balance commerciale, d’attirer les IDE, de développer les régions de l’intérieur, de créer de nouveaux emplois, de stimuler la production industrielle en produits de qualité avec une forte valeur ajoutée et de transformer les entreprises industrielles en entités innovantes, compétitives, performantes et conquérantes produisant un produit qui témoigne de tous les savoir-faire que possède notre pays.

Mohamed Ben Hamed:Président du Groupe I.C.I (Groupe de réflexion/Think tank).

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